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des milliers de v�rit�s que l'on se passe tr�s bien de savoir, et qu'enfin la
curiosit�, sans autre int�r�t, n'est pas si impatiente qu'on le dit, il est encore
vrai que chacun doit prendre parti d'agir avant de savoir ; ainsi l'on peut
remettre, et il est m�me sage de remettre toutes les fois que l'on se sent press�.
D'autre part, il y a des v�rit�s qu'on ne cherche point et qu'on n'aime point, ou
m�me qu'on repousse, comme on refuse certains aliments ; et ce sentiment
signifie quelque chose. Enfin tout homme qui pense veut s'accorder aux
autres, et cette condition semble la plus importante. On ne s'instruit point si
l'on refuse de s'accorder ; on ne pense point en solitude sans faire compara�tre
des t�moins �minents ; dans le fait il n'y a point d'autre m�thode de penser que
de lire les penseurs. Or, puisqu'ils ne s'accordent pas � premi�re vue, c'est
encore une raison de ne se point jeter sur les opinions comme un affam�. Mais
cette comparaison n'est point suffisante. Le sage conna�t plus d'une mani�re de
recevoir des pens�es ; il en peut faire le tour et m�me y p�n�trer avant de
prendre le parti de les faire siennes. Faute de cette prudence, on viendrait � un
�garement et une instabilit� insupportables, dont une ample culture peut seule
nous garder. C'est sans doute par crainte de la pr�cipitation, et des sottises
sans mesure qui la punissent aussit�t, que l'homme tient ferme et par pr�cau-
tion � ce qu'il a toujours pens�, ou � ce que l'on a toujours pens�. Il faut redire
ici qu'on n'estime pas commun�ment beaucoup ceux qui changent ais�ment
d'opinion et de parti. Ce sentiment est juste.
Telle est la pr�vention ; mais ce n'est que l'�corce de l'�me. En dedans je
ne crois point qu'il y ait de pr�vention, mais plut�t la r�solution ferme de
penser tout pr�s de soi. Comme le courage est tout voisin de la col�re, et ne
s'en s�pare point, la col�re aussi est toute voisine de la peur ; elle en garde la
teinte, mais c'est trop peu dire, elle en garde tout. De m�me les v�rit�s r�elles
sont des erreurs redress�es, on voudrait dire conserv�es, on dirait mieux
encore retrouv�es. Peut-�tre n'ai-je pas exorcis� tout � fait le fant�me tant que
je ne sais pas le faire revenir ; c'est confirmer la croyance. Ce mouvement est
bien cach�. Peut-�tre ne se voit-il en clair que dans l'esp�ce, non pas seule-
ment par ce passage de l'astrologie � l'astronomie, qui n'est qu'ingrat, mais par
ce retour de r�flexion qui est la pi�t� de Comte, et qui retrouve la pens�e dans
le mythe. Sans doute c'est Hegel qui a le plus fortement renou� tous les �ges,
conduisant � maturit� toute la jeunesse de l'esp�ce, et m�me toute son enfance.
Car il est vrai, finalement, que les Titans, ces dieux de boue et de sang,
donn�rent l'assaut � l'Olympe politique ; il est vrai aussi que ces dieux vaincus
ne furent rien autre chose apr�s cela qu'un Etna fumant, force jug�e. Il est vrai
aussi que l'Olympe politique fit voir d'autres crimes de force, et appelait un
Alain (�mile Chartier) (1927), Les id�es et les �ges (livres I � IX) 263
autre juge, enfin que la forme athl�tique devait �tre surmont�e. D'o� l'on
comprend qu'il ne faut rien changer des mythes, si l'on veut les comprendre, et
c'est ce que Platon d�j� nous enseigne. Mais il faudrait presser encore une fois
selon sa forme le mythe de la caverne, qui est le mythe des mythes, enfin
l'imagination non plus r�gl�e mais r�glante. Nous sommes tous en cette
caverne ; nous ne voyons et ne verrons jamais que des ombres. Le sage se
sauve d'abord de croire, par le d�tour math�matique ; mais il reviendra � sa
place d'homme ; il y revient d'instant en instant ; entendez qu'il ne la quitte
point, les yeux fix�s un moment ailleurs, mais revenant l�. C'est un voyage
d'esprit que Platon propose ici au captif ; c'est l'attention seulement qui rompt
les liens du corps, et qui s'exerce � penser selon un autre ordre ; c'est dans la
caverne m�me qu'elle s'�lance, composant d'abord des ombres �barb�es, qui
sont les figures math�matiques, et de l� s'�levant aux mod�les du bien penser,
qui sont les id�es, et enfin � la r�gle du bien penser, qui est la r�gle du bien.
D�s lors, et semblable � celui qui a pass� derri�re le petit mur et qui a surpris
le secret du montreur d'images, le sage sait revenir aux premi�res apparences,
ouvrant tout grands ses yeux de chair ; et de l� il remonte aux formes v�ri-
tables, que les ombres lui font voir, qu'elles font voir � tous, sans une erreur en
elles, par une erreur en eux, qui est de ne point conna�tre assez leur propre loi.
Les ombres sont toutes vraies, comme elles paraissent. Toutes les ombres d'un
homme expliquent la forme de l'homme, et en m�me temps la caverne, le feu,
et la place m�me de l'homme encha�n�. Je n'ai point cru que cette ombre
arrondie et cette autre ombre dentel�e fussent le signe de la m�me chose ; je
n'ai pu le croire ; je devais pourtant le croire. Ainsi les affirmations et les n�-
gations sont ensemble pardonn�es. Ensemble la r�volte des Titans et les
s�v�rit�s du dieu politique. Ensemble les passions, et la raison aveugle, et
encore l'autre raison t�m�raire qui les jugea. Tout est vrai en sa place ; et, par
ce refus de refus, le monde existe, pur, fid�le, et tout vrai. Je veux donc conter
comment une ombre, jusque-l� incompr�hensible, prit place parmi les choses
de ce monde et les confirma.
C'�tait un administrateur �minent, fort r�serv�, d'antique politesse, savant,
scrupuleux, et, autant que l'on pouvait voir, respectueux de tout. Il suivait la
messe. Conservateur en tout, il ne montrait d'autre passion qu'une sorte
d'impatience � l'�gard des m�ditations sur la politique, qu'il jugeait inutiles et
m�me dangereuses. Tous ses actes �taient marqu�s de modestie. Toutefois il
joignait � une rare puissance de pens�e, visible en quelques opuscules juste-
ment c�l�bres, une puissance pratique dont les ressorts ne se montraient point.
Quoiqu'il v�c�t loin des intrigues, et qu'il e�t des chefs sur lesquels l'intrigue
pouvait tout, n�anmoins il se montrait juste et inflexible en ses fonctions, sans
�gards pour personne, et ses volont�s avaient valeur de d�cret royal. Je n'ai
observ� qu'une fois cette puissance sans appui visible. Mais il faut achever le
contour de l'ombre. Sur la fin d'une longue vie, il monta quelques �tages,
portant son petit bagage d'�crits, afin d'�tre re�u dans l'Acad�mie des sciences
morales ; non point � ce que je crois par ambition, mais plut�t pour ne point
marquer de m�pris � ces messieurs. Discret, secret, et bient�t repli� et ferm�
devant la hardiesse juv�nile qui parle avant de savoir. Je guettai plus d'une
fois autour de ce royaume si bien gouvern�, o� je n'avais pas entr�e. Un jour
Alain (�mile Chartier) (1927), Les id�es et les �ges (livres I � IX) 264
je pus deviner quelque chose de cette police int�rieure, et je veux dire ce que
j'en sais.
Deux ou trois sociologues avaient parl� sur la morale, disant que la soci�t�
�tait le vrai dieu, et que toute conscience droite recevait, de l'ordre politique,
par un sentiment puissant et imm�diat, des ordres indiscutables. Ils montraient
ainsi, et d�j� mettaient en doctrine, cet app�tit d'ob�ir que la guerre a fait
�clater un peu plus tard en presque tous. Je connaissais le refrain, mais j'atten-
dais l'avis de mon philosophe ; car je le voyais �coutant ce jour-l� avec une
attention qui annon�ait quelque chose. Il parla enfin, et � peu pr�s ainsi :
� J'avoue, dit-il, que je suis bien �loign� d'entendre les choses de la religion et
de la morale comme vous faites. Car je connais et j'�prouve ces contraintes
ext�rieures de l'opinion, des mSurs, et des institutions ; je m'y conforme pour
l'ordinaire et dans tous les cas douteux, ayant le sentiment vif de ce que vaut
l'ordre tel quel, et que les traditions enferment plus de sagesse encore qu'on ne
peut dire ; mais, avec tout cela, je ne puis dire pourtant que je me soumets �
ces r�gles ext�rieures ; bien plut�t il me semble que quelque chose en moi se
refuse absolument � ob�ir et � se soumettre, mais au contraire se reconna�t le [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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